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Le Blog du magazine POLY
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27 novembre 2009

Interview_Xavier Marchand

 

Le Témoignage est un sport de combat

En pleine création d’Il était une fois Germaine Tillion à la Comédie de l’Est, le metteur en scène Xavier Marchand évoque son travail autour de cette figure de l’ethnologie et de la Résistance française, disparue l’an passé à 100 ans.

Comment est née votre envie de monter une pièce autour des textes de Germaine Tillion ?18_bis
C’est un concours de circonstance. Je l’écoutais un soir à la radio, sachant juste qu’elle était une grande figure de la résistance avec le Réseau du Musée de l’Homme. J’ai commencé à lire ses livres, à découvrir qui elle était : d’abord l’ethnologue des Aurès qui a fréquenté les Chaouïas. Je rêvais depuis des années d’aller en Algérie, tout simplement parce que je travaille à Marseille et que je croise des Algériens toute la journée. Mais à cause de leur guerre civile dans les années 90, on ne pouvait y aller. J’ai fait le voyage en 2008. On est accueillis là-bas comme des cousins. La perception que peuvent avoir les Algériens des Français, n’est pas du tout la même que celle des Français avec eux. Pourquoi les jeunes gens que j’ai rencontré considèrent que la guerre d’Algérie est de l’histoire ancienne alors que chez nous, c’est une histoire qu’on a encore beaucoup de mal à dire et à avaler ? Pour la jeunesse algérienne, le dernier conflit en date est la guerre civile. Le nôtre la Guerre d’Algérie. Je m’interroge donc sur la raison de notre silence. Pourquoi en parlons-nous si peu ? Pourquoi dans les livres d’histoire de mes enfants cela ne représente-t-il qu’une demi page ? Autant de choses qui ont une répercussion sur la notion de nationalité et le sentiment d’appartenance à un pays, questions qui jalonnent l’œuvre et l’expérience de Germaine Tillion dans les Aurès, la Résistance, à Ravensbrück et dans la Guerre d’Algérie.

C’est important de confronter ses écrits clairvoyants au contexte actuel de notre société dans laquelle toutes ces questions ne sont pas réglées ?
9782732432816Germaine Tillion est importante car c’est une figure de l’engagement. Sa pensée nous amène à une vigilance sur l’augmentation du contrôle de nos espaces de liberté, sur le traitement honteux des immigrés. Quand elle écrit son opérette à Ravensbrück (Le Verfügbar aux enfers, N.D.L.R.), on ne peut imaginer ses conditions de vie. Elle le dit elle-même, le manque de participation à un événement est une source d’incompréhension radicale. Les appels qui duraient 12 heures, les départs pour les chambres à gaz, l’odeur de la mort… Sentant qu’il fallait lutter contre la déshumanisation et garder une pensée vive pour ne pas sombrer, elle compose un texte plein de causticité et d’autodérision. Quel a été son déchirement lors du conflit algérien puisqu’une patrie qu’elle avait tant défendue se comportait de la façon dont on sait alors que Germaine Tillion était en parfaite empathie avec ceux qu’on considérait comme des terroristes : des gens dans la même posture qu’elle en 1940. On peut d’ailleurs imaginer que des gens de l’élite intellectuelle qu’on a exécuté comme Ben M'Hidi ont peut-être manqué après la guerre. Qui a pris le pouvoir ? Un colonel !

Quelles sont les lignes directrices de votre mise en scène ? Germaine Tillion sera-t-elle incarnée sur scène ?
J’ai choisi des extraits de trois de ses livres : Il était une fois l’ethnographie  (1), Ravensbrück (2) et Les ennemis complémentaires (3). Des cinq comédiens sur le plateau, une porte plus particulièrement la voix de Germaine Tillion. Mais elle ne l’incarne pas.

Quels sont vos choix d’ambiances et de décors ? Trois tableaux différents pour ces trois époques ?
Ce sont des décors simples puisque tout est fait pour créer l’écrin permettant à cette parole d’être entendue. La première partie est essentiellement constituée de manipulations ayant trait à une forme d’ethnologie inventée : de la musique préenregistrée et en direct, un travail sur les cartes, sur des objets et des figurines. visuel_germaine_cielLes décors sont visuels et reflètent la distance que nous avons produite par rapport au texte. Ravensbrück est entrelacé avec l’opérette qui n’a, bien entendu, jamais été représentée là-bas. Nous tentons une représentation à trois comédiennes. Il y a des parties chantées et d’autres dansées. Ce spectacle pourrait être une sorte de grande conférence mise en scène. Il n’y a pas de dialogues mais une voix qui s’adresse au public dans un rapport très direct. Un aller-retour entre les textes de Ravensbrück et l’opérette avec le personnage du naturaliste –  le pendant pour l’espèce animale de l’ethnologue chez l’homme – qui fait une conférence sur ce qu’est une Verfügbar : celle qui par esprit de résistance faisaient en sorte de prendre une attitude suffisamment décatie pour ne pas faire partie des colonnes de travail partant chez Siemens, à proximité.
La troisième partie sur l’Algérie se compose d’archives de l’INA qui reflètent le discours de l’époque, radicalement différent de celui de Germaine Tillion, elle qui alla jusqu’à rencontrer Yacef Saâdi, l’un des principaux chefs du FLN. En pleine bataille d’Alger, dans la casbah pleine de Paras et entourée de barbelés, elle va rencontrer l’homme le plus recherché du moment, à la tête de 120 000 hommes. Lui, le chef a une discussion avec elle. Il lui promet, alors qu’elle n’a aucun pouvoir, d’arrêter les attentats si elle fait en sorte d’arrêter les exécutions capitales. Cette promesse, jusqu’à son arrestation, sera tenue. Un formidable moment du spectacle que la rencontre de cette dame sans pouvoir avec le grand chef terroriste, de la voir lui parler de la même façon qu’à De Gaulle ou à un anonyme.

Vous n’avez pas été tenté de faire résonner sa propre voix par le biais d’extraits d’entretiens radiophoniques ?
Si. Nous l’entendrons probablement à la toute fin du spectacle, une minute ou deux (4). Elle est alors âgée de 94 ans et affirme que Ravensbrück a été pour elle absolument formidable parce qu’elle y a connu toutes les femmes d’Europe. Et de conclure dans ce mélange d’esprit et d’humour qui la caractérisait : « Et les femmes en savent long sur ce que font les hommes. » Et puis je garde ce souvenir d’Anise Postel-Vinay, déportée comme Germaine, qui est venue voir nos répétitions et qui disait garder en mémoire une grande vigilance : « Ce qu’on a appris à Ravensbrück, c’est qu’il faut toujours se méfier du SS qui est en nous. » Ça fait réfléchir… Comment nous engageons-nous en ce moment, vous, moi, nos proches ?

Propos recueillis par Thomas Flagel

1 Il était une fois l’ethnographie, Paris, Ed. du Seuil, 2000
2 Ravensbruck a connu plusieurs éditions entre 1973 (Éditions du Seuil) et 2005 (Éditions La Martinière)
3 Les Ennemis complémentaires, Paris, Editions de Minuit, 1960
4 L’extrait est tiré d’Une conscience dans le siècle, documentaire de Christian Bromberger et Thierry Fabre (2002)


À Colmar, à la Comédie de l’Est, du 4 au 10 décembre
03 89 24 31 78 – www.comedie-est.com

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