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Le Blog du magazine POLY

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1 septembre 2011

POLY a son propre site !

Le magazine Poly afit peau neuve. Nouvelle maquette, nouveau logo et… nouveau site internet sur www.poly.fr !

Artciles, interviews, bonus, agenda culturel et chroniques de disques et de livres… À très vite !

 

142POLY_COUV

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17 juin 2011

Poly n°141 été 2011

Le nouveau Poly à feuilleter sur le Net, avec son cahier central Agenda de l'Été !!

 

4 mai 2011

Zoé Valdés – Le Paradis du néant

Si loin, si proche

VALDES_Zo_Invitée d’honneur de la 28e Foire du livre de Saint-Louis, l’écrivaine en exil Zoé Valdés publie simultanément un roman aux sources autobiographiques, Le Paradis du néant.

« Elle avait fui de Cette Île : une île qui a voulu construire le Paradis et a créé l’Enfer. » Comme je l’imagine, Zoé Valdés – renommée Yocandra dans ce roman – remplir de son écriture répétitive un carnet avec cette phrase, dans les premiers temps de son exil de Cuba, via Miami, direction Paris. Suite logique et intime du Néant quotidien (Actes Sud, 1995) dans lequel elle décrivait les dégâts de la pesanteur du régime castriste, Le Paradis du néant offre un retour romancé sur la douleur et la vitalité de ses quinze dernières années loin des frères Fidel et Raúl.

Comme je l’imagine, Zoé, seule dans la fraîcheur hexagonale, jetant fiévreusement sur des cahiers à spirale les flots d’un quotidien hanté de fantômes laissés derrière soi, happé par le flou d’un avenir à réinventer, agité par ces « cubains nouvelle génération de Miami et leur merde castriste ». Tout est là. La « balsera » bravant la mort en bateau, la reproduction des comités dans la communauté cubaine exilée, l’avion qui l’amène dans cette France qu’elle a connue lorsqu’elle travaillait pour l’Unesco de 1983 à 1988. Le chagrin et la pitié, la colère et l’angoisse jusque dans la chaleur du vieil immeuble du Marais où elle réside, rempli d’artistes exilés comme elle. Cour sans miracles, mais non moins incroyable qui se substitue à La Vieille Havane de son cœur.

Comme je l’imagine, se saisir de cette matière première douloureuse en composant un roman haletant, prenant et fortement critique. Nul n’y est épargné. Surtout pas l’auteure, ses illusions perdues et ses inquiétudes, sa sensibilité gangrenée d’absences… et l’humour de la composition de la galerie de personnages de son quotidien : la Pustule cubaine (travesti fourbe et insaisissable), le trouble Fidel Raúl (dragueur cubain invétéré), les Norvégiens écolos jusqu’auboutistes, le Nihiliste (son grand amour, résistant de l’intérieur à Cuba), le Gravos (indic’ cubain baveux à souhait), Migdalia (voyante Yoruba)… et la Ida, la mère de Zoé qu’elle réussit à faire sortir et qui mourra libre, enterrée au Père Lachaise, non loin de Colette et Gérard de Nerval. En filigrane, l’amour de Paris comme « une rumba, pas une fête » et la haine viscérale des anciens contestataires du régime ayant garni “l’exil de velours” dans les années 1980 qui gardent – au mieux – la bouche cousue pour mieux revenir sur l’île jouer les riches.

Le_Paradis_du_N_antComme je l’imagine, déclarant il y a quelques années : « La littérature est douleur, inquiétude, séparation… mais elle donne aussi le plaisir de ne pas oublier. » Finalement, Juan Rulfo a raison : « La littérature est presque toujours mensonge. » Presque seulement.

Texte : Thomas Flagel

À Saint-Louis, place Gissy, la 28e Foire du livre, du 6 au 8 mai www.foirelivre.com
À paraître, le 4 mai : Zoé Valdés, Le Paradis du Néant, Éditions JC Lattès

2 mai 2011

Poly n°140 mai/juin 2011

Le numéro mai/juin vous attend… Feuilletez-bien !

17 mars 2011

Quinzaine Culturelle Irannienne

L’écume de la révolution

Profitant de la Quinzaine culturelle iranienne, nous interrogeons le journaliste Serge Michel. Auteur avec le photographe Paolo Woods de l’excellent livre Marche sur mes yeux (1), il livre un portrait inédit de l’Iran où il a séjourné à plusieurs reprises, de 1998 à 2009. Interview.


couvertureComment expliquez-vous le traitement médiatique de ce pays dont vous dites qu’il est « réduit depuis la révolution islamique de 1979 à des clichés, noirs comme une femme voilée, comme une théocratie ténébreuse » ?
Je pense que l’impact de la révolution a été énorme dans les médias. L’image de Khomeiny – barbe blanche, regard noir et turban – a surpris. Jusqu’en 1979, l’Iran évoquait le Shah et ses magnificences, un pays touristique exceptionnel, la Perse antique, etc. Tout d’un coup, on se retrouve avec une théocratie choquant, encore aujourd’hui, l’imaginaire européen. Ensuite, les événements comme la prise d’otages de l’ambassade américaine ont fait peur au monde. La guerre Iran-Irak (1980-1988) où l’on considérait Saddam Hussein comme le “good guy” contre les méchants iraniens n’a rien arrangé. La question des femmes est aussi très émotionnelle. Imposer le voile est apparu comme le comble de la dictature. Et l’on en est resté là car, évidemment, on pouvait toujours faire frissonner les lecteurs avec des sujets sur les femmes opprimées…

On sent bien à la lecture de votre livre, notamment la longue introduction, que vous vous êtes heurté à la difficulté de passer outre les clichés…
J’en avais plein la tête parce que tout ce qu’on a vu et lu va dans le même sens : un pays du mal. Mais on découvre qu’il est plutôt plaisant. Les gens sont intéressants et ont, malgré tout, une certaine liberté de parole. Ce n’est pas la Corée du Nord ! Et puis l’enthousiasme que l’on ressent au début est tempéré avec le temps par des formes plus subtiles de pressions.

Avec Paolo Woods, vous donnez à voir et à lire une cinquantaine de portraits d’Iraniens, comme autant de paradoxes entre carcan religieux et espaces de liberté sociale insoupçonnés : par exemple le “sigheh” (contrat de mariage temporaire) et les taxis-proxénètes de Mashad…
Ce pays est très déroutant. Il faut imaginer qu’il est fait de multiples couches : une couche pré-islamique zoroastrienne qui existe encore par le biais de fêtes datant d’avant l’Islam, une autre sunnite (2) lorsque le pays a été envahi par les arabes, la couche chiite à partir du XVe siècle, la couche moderniste du Shah qui voulait faire de son pays une sorte de Singapour du Moyen-Orient, une couche révolutionnaire, une autre communiste car les mouvements de gauche étaient très forts au moment de la Révolution et aujourd’hui celle des réformateurs qui sont écrasés. Tout cela s’additionne sans se remplacer. Selon l’endroit de ce mille-feuille où vous creusez, vous obtenez autant de paradoxes avec lesquels composer. L’autre élément perturbant est qu’au fond les Iraniens ont une habitude de la dictature qui remonte à 3 000 ans de régimes forts, voire totalitaires. Du coup, ils développent toute une culture de l’évitement, de l’accommodement avec le régime. Ces stratégies se font aussi face à l’Islam. Certains ont une vie parallèle, comme ces proxénètes : ils mènent une vie religieuse très pieuse et respectueuse, tout en ayant des activités totalement illicites. Ils vivent dans une contradiction permanente et ne s’en rendent plus compte.

press_1Vous évoquiez la vision de la femme. On ne peut que penser aux positions de Shirin Ebadi, sa volonté d’émanciper la femme, de lui octroyer l’égalité. Vous questionnez une enseignante sur ce sujet dont les réponses témoignent d’une intégration profonde des normes de ce pays et donc de ces inégalités…
C’était un dialogue assez surréaliste mais en fait elle défend les écrits du Coran. C’est la vision traditionnelle des choses qui malgré ce que nous aimerions en tant qu’occidentaux perdure parfaitement en Iran. On a toujours envie de voir des gens progressistes, intelligents. D’autres le sont tout autant en étant, en plus, traditionalistes sans qu’on puisse leur nier ce droit. Ce n’est pas un bourrage de crâne. Elle est croyante mais on a de la peine à appréhender le phénomène religieux. On vit en Europe dans une société sécularisée, laïque et d’avoir affaire à des croyants est déroutant. On a très vite considéré que ceux qui étaient intelligents en Iran étaient ceux qui relativisaient leur propre religion alors qu’il y a des intelligences des deux côtés. Cette femme fait son mixe personnel, soutenant des éléments religieux tout en défendant des valeurs qui pourraient être féministes. Pour eux ce n’est pas troublant !

Un autre exemple est frappant, celui des deux frères vivant sous le même toit : l’un fait partie des bassidjis (3) et l’autre soutient Moussavi (4), figure de l’opposition au régime…
Nous avons découvert que les divisions politiques vont jusque dans les familles. C’est une réalité : l’Iran a beaucoup de facettes et deux frères comme eux peuvent grandir avec des vues totalement opposées l’une de l’autre, tout en partageant la même chambre, le même ordinateur et devoir se parler tous les jours.

Vous comparez les jeunes étudiants des événements de 1999 avec les « faux insoumis », sortes de « rebelles à l’occidentale » des années 2000. Vous étiez surpris par le réveil de cette jeunesse, autour de l’élection de 2009, qui a nourri la vague verte lors du passage en force d’Ahmadinejad ?
J’avais vu sous Khatami, président de 1997 à 2005, des gens un peu lassés par les promesses non tenues. Une vague réformiste de jeunes s’engageait et prenait des risques. J’ai observé ce mouvement se fatiguer et se dire que, n’arrivant pas à changer les choses, il valait mieux s’aménager une bonne existence, se marier, avoir une maison et une voiture. Il a bien fallu constater en 2009, à l’occasion des élections, qu’il ne l’était pas. Une braise sous la cendre s’est remise à brûler d’un coup !

Même si leur histoire diverge et que les Iraniens sont perses et pas arabes, le parallèle avec les récentes révolutions tunisiennes et égyptiennes s’impose. L’Iran n’est pas passé loin, à l’été 2009, d’un même destin. Pourquoi ont-ils échoués ? La répression était plus forte ?
Je pense qu’il y a deux facteurs à cet échec : le premier est un savoir-faire répressif indéniable. Le régime contrôle beaucoup mieux les choses que Ben Ali. Il sait empêcher les rassemblements, arrêter les gens au préalable, ne pas aller trop loin. Il ne fait pas trop de morts et s’il y en a, les font disparaître pour empêcher les enterrements et les célébrations (traditionnellement 3 jours, 7 jours et 40 jours après le décès, NDLR), autant d’occasions de nouveaux rassemblements. Le régime iranien sait ménager des soupapes de liberté personnelle. On dit toujours que c’est très surveillé mais il y a de nombreuses fêtes où les gens s’amusent et dansent. Le pouvoir laisse faire sachant que s’ils éteignait tout, il se prendrait le retour du balancier. Le second facteur est qu’il n’y a pas la même situation de désespoir qu’en Tunisie. On a l’impression que là-bas, ils n’avaient rien à perdre. Le jeune homme qui s’est immolé, déclenchant par ce geste la révolte, n’a pas d’équivalent en Iran. Pas mal d’argent circule dans le pays grâce au cours actuel du pétrole et les Iraniens semblent s’être accommodés de la situation.

press_3La place et l’influence du Guide Suprême, qui tire toutes les ficelles en coulisses, n’est-elle pas un troisième facteur ? Les Iraniens n’ont pas réussi à chasser Ahmadinejad car il leur aurait alors fallu s’élever contre l’ayatollah Khamenei qui l’a soutenu ?
Ce facteur religieux est en effet un piège bien orchestré. Il est difficile de s’élever contre un système organisant et utilisant votre croyance. Je pense que ce piège s’est refermé sur les gens, pour les empêcher d’aller jusqu’au bout. Une dizaine de grands ayatollahs iraniens (le stade suprême de la hiérarchie chiite) est en vie. Huit d’entre eux sont contre le système en place, estimant qu’il faudrait séparer la politique et la religion. Mais ils n’arrivent pas à s’exprimer suffisamment pour créer un mouvement qui pourrait être religieusement légitimé.

Les célébrations, le 11 février, de l’anniversaire de la Révolution semblent s’être déroulées dans le calme. Le régime conservateur tente de tourner à son avantage les événements d’Égypte…
Bien sûr, même si ce n’est pas encore fait ! Ils espèrent récupérer les révolutions tunisiennes et égyptiennes en les faisant passer pour des mouvements religieux qui essaient de se débarrasser de ce qu’ils présentent comme des dictateurs pro-occidentaux, anti-islamiques et corrompus. Mais les images qui sont parvenues en Iran ont dû donner des idées au mouvement vert. La possibilité physique de manifester en Iran est très faible. Le régime essaie de tourner cela à son avantage mais doit être inquiet de voir ce qui s’est passé là-bas.

Où en sont Moussavi et l’opposition ?
À ma connaissance, ils sont libres, c’est-à-dire pas arrêtés, mais surveillés comme jamais. Ils ne peuvent sortir de chez eux. Une expression en persan dit : « Trancher la gorge avec du fil de coton ». On ne vous coupe pas la gorge avec une guillotine en public, mais avec un petit fil de coton, en frottant doucement sur le cou, en permanence, si bien qu’on arrive à leur couper la tête. Ils sont dans cette situation d’être étouffés, mais sans que ce soit une mesure radicale comme une arrestation ou un enfermement qui aurait peut-être provoqué une révolte. Ils sont coincés et ne peuvent plus bouger ni s’organiser.

Au niveau culturel, nous savons peu de choses de la foisonnance artistique iranienne, mis à part quelques cinéastes et artistes contemporains comme Abbas Kiarostami ou Khosrow Hassanzadeh. Pourtant, on relate un nombre important de galeries, de groupes et de lieux underground destinés à la musique, notamment dans les grandes villes. Qu’en est-il ?
Effectivement, on observe ce contrepoint à un système autoritaire qui provoque une certaine effervescence artistique avec d’excellents peintres, des écrivains, des poètes… La censure a l’avantage de pousser les artistes dans certains retranchements. La scène artistique de Téhéran est réelle et importante. Il y a d’excellents cinéastes comme Kiarostami, qui est l’un des plus connus même s’il n’en est pas le plus représentatif aujourd’hui. Beaucoup d’Iraniens estiment qu’il produit des films pour l’Occident en y mettant une certaine poésie orientale. D’autres cinéastes sont plus combatifs.

C’est le cas de Jafar Panahi, invité sans succès à participer aux jurys du Festival de Cannes et de la Mostra de Venise 2010 mais aussi de la Berlinale, en février 2011. Le réalisateur iranien est toujours assigné à résidence après avoir été enfermé. Pensez-vous que ce traitement des artistes pourra encore durer longtemps ?
Kiarostami a fait de très beaux films mais a décidé de se dépolitiser, conservant la possibilité de travailler, d’aller et venir. D’autres ont été plus radicaux comme Panahi. Ils subissent une répression forte. Le régime, malgré ce qu’on peut en espérer, est solidement en place. La prochaine élection présidentielle aura lieu en 2013. Je me réjouis de voir comment le régime va devoir trouver une solution pour organiser la continuité d’Ahmadinejad qui ne pourra pas se représenter une troisième fois.

press_2L’ancien président Mohammad Khatami était ministre de la culture dans les années 1980. Il a favorisé l’éclosion artistique à cette époque. Qu’en est-il de la culture étrangère et de sa censure ?
La culture étrangère telle qu’on peut la voir au cinéma est extrêmement limitée. Les films qui passent à la télé ou dans les cinémas sont amputés d’une scène sur deux car, dès qu’il y a une personne un tant soi peu dénudée à l’écran, les ciseaux de la censure se mettent à l’œuvre. Par contre, de nombreuses traductions de livres existent en persan. Khatami a libéralisé les choses lorsqu’il était président. Au salon du livre de Téhéran, il y avait énormément de livres étrangers. On pouvait y acheter plein de romans américains, français… Aujourd’hui cela est de nouveau très limité mais la culture underground importe massivement. Par exemple, les films américains sont filmés par des iraniens à leur sortie en salles aux États-Unis et, une semaine plus tard, on sonne à votre porte avec un bac de DVD. Ce n’est pas maîtrisable par le régime, comme les antennes satellites sur les toits des maisons. Par ce biais, la pénétration de la culture étrangère est assez forte.

Votre livre existe-t-il là-bas ?
Non. Nous travaillons sur une traduction en persan que nous mettrons gratuitement à disposition sur Internet.

Racontez-moi le choix du titre de votre livre : Marche sur mes yeux ?
C’est une formule de politesse qui doit être dite par une personne recevant des invités chez lui. Il leur dit “marche sur mes yeux”, ce qui signifie bienvenu chez moi. Si tu rentres chez moi je ne serai que poussière à tes pieds et tu pourras marcher sur mes yeux, ce qui est la partie la plus précieuse de mon corps. Cette formule de politesse nous semblait intéressante car elle disait bienvenu tout en contenant une certaine violence en elle qu’on peut lire comme celle du régime ayant marcher sur les yeux des opposants lors des élections. Elle correspond à la duplicité du système qui contient à la fois la douceur de la poésie de l’expression et une certaine violence dans les faits.

(1) Marche sur mes yeux – Portrait de l’Iran aujourd’hui, éditions Grasset, 2010 (22 €) – www.grasset.fr
(2) Branche majoritaire de l’Islam (85 % des croyants dans le monde) mais minoritaire en Iran, dominé par le chiisme
(3) Milices islamiques
(4) Mir Hossein Moussavi est, avec Mehdi Karoubi, l’un des leaders de l’opposition iranienne, à la tête de la vague verte contre Ahmadinejad

Propos recueillis par Thomas Flagel

Rencontre avec Serge Michel, samedi 19 mars, à la Librairie Kléber
www.semaineiranienne.eu
http://marchesurmesyeux.fr

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7 mars 2011

ARMAND GATTI — GRAND ENTRETIEN


Le lion, sa cage et ses ailes

Banni de l’institution depuis décembre 1968 – La Passion du général Franco est interdite au Théâtre national Populaire de Villeurbanne par de Gaulle, cédant aux injonctions espagnoles – Armand Gatti est le dernier grand lion de la poésie et du théâtre engagé. En novembre dernier, le TNS invitait cette conscience de 86 ans pour un atelier avec les élèves de l’École autour d’Un Homme seul, méditation sur la solitude d’un militant défait lors d’une bataille de La Longue Marche.


Dans un début de siècle dénué de toute démesure, ce poète à l’œuvre-fleuve composé sur tous les continents (de la Chine maoïste à l’Irlande du Nord de Bobby Sands) fait du langage la dernière arme pour s’approprier le monde. Armand Gatti, c’est une vie d’aventurier tendue vers la révolte. Le théâtre ? Il l’a découvert dans le camp de concentration dont il se dit, parfois, qu’il n’est pas encore sorti. Des juifs lituaniens et polonais entamaient une longue litanie, scandant en transe des « Ich bin » symboles de reconquête d’humanité au bout de l’horreur. Ich bin – je suis, malgré le camp et les nazis, instant fondateur… En 1954, ce fils d’immigrés italiens qui a grandi dans le bidonville du Tonkin (Monaco), reçoit le prix Albert Londres (1).

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Celui qui écrira plus de pièces qu’il ne peut en compter a, alors, 30 ans. Dans cette époque épique, il a déjà été résistant de la première heure, arrêté, condamné à mort puis gracié en raison de son jeune âge, déporté en camp de travail. Il s’en évade, devient parachutiste dans les SAS et participe à la libération de Limoges. Après guerre, son chemin le fait croiser Mao durant un reportage en Chine, « le médecin argentin » Ernesto Guevara dans un taxi en pleine guérilla guatémaltèque, Ulrike Meinhof, journaliste pré-RAF pas encore « suicidée » ou encore le cinéaste Chris Marker dans le transsibérien. De ces rencontres, il créera des pièces et des films témoignant d’une résistance au monde, d’une solidarité jamais démentie et d’une recherche par le mot juste de l’abolition des représentations habituelles, d’une parole errante libératrice. Depuis longtemps les comédiens professionnels ont laissé place à des volontaires (étudiants, ouvriers, prisonniers) avec lesquels Gatti part en quête d’un langage affranchi de toute soumission et enfermement, entremêlant les histoires de chacun à son propre souffle. Rencontre avec un vieux lion, les ailes toujours déployées.

« Je n’arrive pas à considérer le théâtre comme un moyen d’amuser, de distraire. Je préfère le concevoir comme un perpétuel moyen de libération – non seulement de préjugés, d’injustices (…) mais aussi du conformisme et de certaines façons de penser qui, arrêtées, deviennent cercueils. »

Armand Gatti

DSC_9025Du quotidien, la poésie.
« Je viens d’une famille très pauvre. Deux de mes oncles anarchistes ont été pendus à Chicago, le 1er mai. Mon père, dans son exil, a échoué à Monaco, ne réussissant pas à franchir la frontière vers le Piémont. Il était balayeur. La poésie est née du quotidien. Les jours où il n’y avait rien à manger à la maison, nous mettions les assiettes, même celle du chien. À table, mon père demandait à ma mère de réciter le bénédicité. Et il égrenait le repas : de la morue, des tomates, des olives cuites, dans un langage entre le Piémontais et le Monégasque… Jambon, Pastasciutta… on le disait mais il n’y avait rien sur la table. Que des mots. Ça reste un élément très fort. Pour moi, le langage s’est organisé à partir de là. »

L’aventure poétique plutôt que la logique commerciale.
« Nous sommes en pleine société spectaculaire et marchande qui a ceci de particulier que, pour faire exister les choses, ce n’est plus la pensée qui évalue, mais un bout de papier. Aujourd’hui, le créateur est le billet de banque. Mais qu’est-ce que ça peut bien prouver un morceau de papier ? In God we trust ! J’emprunte un autre chemin. Le théâtre est la rencontre entre le spectateur et l’acteur. Donc si on veut monter une pièce, il faut qu’au premier jour des répétitions, les spectateurs soient là, car ce sont eux la pièce. Pas besoin d’argent là-dedans. »

Réinventer le langage.
« Comment les comédiens vont-ils s’exprimer ? Le langage est mis sous bonne garde, engoncé dans des déterminismes fabriqués par l’homme, croyant par là se dire alors que c’était s’annuler ! Je fais appel à deux langages : celui, physique, du corps et celui de l’esprit. Et comment les représenter ? Du côté des acteurs, le kung-fu, retrouvant ainsi le trait créateur du Tao qui est la base de toute pensée orientale. Les spectateurs ont le Tai-chi et je me retrouve en plein Livre des mutations (le Yi-King, NDLR) pour écrire une pièce. Cet été, à Neuvic (2), en Corrèze, nous avons trouvé comment passer d’un langage à un autre en introduisant l’idéogramme dans notre façon de dire le théâtre : ce qui a toujours manqué aux langues occidentales, c’est ce qu’en chinois on appelle “souffle médian”. »

Le cadeau de Mao.
« La grande découverte de ce langage s’est faite en Chine. Journaliste, j’ai refait le trajet de La Longue Marche passant sur le célèbre pont de la rivière Dadu, épisode glorieux de la Révolution chinoise où, plutôt que d’employer les armes, les partisans de Mao ont fait diversion avec une pièce pour passer la rivière. Dieu le père, qui ne sait plus trop ce qu’il dit, y était promené par son fils dans la cathédrale de Shanghai pour qu’il ait une discussion avec Karl Marx. Toute la pièce parlait de cette rencontre avec beaucoup d’humour. Elle s’est faite anéantir, complètement. Mais le reste des troupes de Mao a encerclé les troupes du Kuomintang. La Révolution chinoise a alors pu avancer. Y déjeunant avec Mao, il me dit : « Le peuple chinois veut vous faire un cadeau : l’idéogramme. Lorsque vous écrivez, ayez-le présent. » Je lui réponds : « Que puis-je en faire, je ne lis pas le chinois ! » Il s’est durci : « Ce n’est pas une traduction que je vous demande, c’est une prise de conscience. Vous avez un trait qui veut dire quelque chose, un autre fait allusion à autre chose… Et le tout est porteur d’un sens encore différent. » Notre langage occidental était jeté à bas. Comment dans la langue française, ma bien-aimée, faire exister l’idéogramme ? Je n’ai réussi que dernièrement, à un âge assez canonique, à Neuvic. Finalement, qu’est ce qui pourrait être le symétrique de l’idéogramme en français ? La phrase ! “Je vous parle” est un idéogramme pour nous.
- “je” va chercher sa vérité dans le monde pronominal qui est en rapport avec moi.
- “vous”, appartient au même, mais s’écrit différemment et désigne autre chose que le moi personnel.
- “parle” cherche sa vérité dans le monde verbal.
Tous ces ajouts forment l’idéogramme. Je peux ainsi essayer d’entrer dans l’aventure du langage et du mot, à partir de la phrase. »

« La résistance ? Lorsque le verbe être annule le verbe avoir. »
Armand Gatti
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Résistance.
« Tout a commencé avec Nicole, la fille d’un bijoutier de Monaco. La lutte de classe, zéro ! La fille du bijoutier ne discute pas avec celui du balayeur. Elle était formidable, Nicole, et il y avait un point sur lequel on s’attrapait tout le temps, Nietzsche. Pour moi, c’était quelqu’un de droite, plutôt facho et pour elle, « le seul qui défendait les juifs ». Elle l’était, juive. Ça a été mon premier amour. Un jour j’apprends à la bibliothèque où l’on se donnait rendez-vous que toute sa famille avait été déportée. C’est pour ça que je suis parti en Corrèze, dans le maquis. Pour Nicole. Mais j’étais contre les armes. Ils ont cru que je venais me faire nourrir. On était quatre au début mais, au même endroit, 50 000 à la libération. Juste avant qu’on nous arrête tous les quatre, j’ai quand même réussi à donner un sens au maquis. Je leur ai fait admettre que, justement, avec toutes les histoires de repas faits de mots de mon père, il n’y a qu’une seule façon de résister, comme Gramsci (3), par la parole. Dire des choses qui sont un combat et avec lesquelles on doit se battre. Nous lisions aux arbres les lettres que Gramsci a écrites à ses enfants. »

Badge sur veste noire.
« Le badge que je porte représente Buenaventura Durruti, leader anarchiste durant la guerre d’Espagne, mort sur une barricade à Madrid, d’une balle dont on ne sait officiellement si elle était fasciste ou stalinienne. Mais on sait que les communistes, se disant alliés des anarchistes, avaient reçu l’ordre de le zigouiller. Alors que je créais La Colonne Durruti ou Les Parapluies de la Colonne I.A.D à Bruxelles, Cipriano Mera (4) est arrivé avec cette veste noire que je ne quitte plus. Il m’a dit : « Voilà, elle t’appartient. Buenaventura l’a oubliée à Paris lorsque les événements ont éclaté. » Il se trouve que des ouvriers parisiens ont monté cette pièce dans les rues de Paris et fabriqué des badges avec son portrait qu’ils donnaient au public. Quand les flics arrivaient à cause de l’attroupement, ils allaient vers eux et leur donnaient ça… »

(1) Prix prestigieux distinguant, en France, le meilleur Grand Reporter de la presse écrite
(2) Il s’agit de la dernière création de Gatti : Sciences et Résistance battant des ailes pour donner aux femmes en noir de Tarnac un destin d’oiseau des altitudes
(3) Antonio Gramsci (1891-1937), écrivain et membre fondateur du Parti communiste italien
(4) Cipriano Mera (1897-1975), dirigeant anarcho-syndicaliste espagnol

Propos recueillis par Thomas Flagel
avec l’aide d’Olivier Neveux

Photos : Benoît Linder pour Poly

À paraître : La traversée des langages, courant 2011 et Les Cahiers d’Armand Gatti : Les cinémas de Gatti, revue annuelle, n°2, Éditeur La Parole errante, au mois de mai

 

3 mars 2011

Poly n°139 (mars-avril 2011) à feuilleter

Dans ce numéro mars-avril, votre magazine culturel vous emmène notamment dans les dessous de Vitra et ses créations design… Bonne lecture !

 

2 mars 2011

TRADUIRE L'EUROPE – YVES BONNEFOY

Du 4 au 12 mars 2011, Strasbourg organise Traduire l'Europe, manifestation mettant à l'honneur la littérature européenne et la traduction dans toute la CUS. Parmi les invités, Herta Müller (prix Nobel 2009 de littérature), le poète anglais Tony Harrison (Prix européen de littérature 2010) ou encore le poète français et traducteur Yves Bonnefoy qui nous a accordé une interview.


bonnefoyVous êtes l’invité d’honneur des 6e Rencontres européennes de littérature. Qu’attendez-vous d’une telle manifestation ?
Des rencontres, avec des poètes d’autres pays de l’Europe. Je trouve beaucoup de sens, en effet, et j’attends beaucoup, de la diversité des cultures européennes, une pluralité qui a été et demeure la réfraction à travers des langues parfois  fort différentes de ces grands rayons que furent à l’aube du continent la pensée grecque, le droit romain, et même cette idée chrétienne de la personne si difficile à préserver de sa démesure, aux dangereux préjugés.  Les réfractions furent très variées, il en résulta des incompréhensions réciproques qui attisèrent bien des conflits, notre histoire a été un long enchaînement de désastres, mais quand on voit la rapidité et l’ampleur avec lesquelles se répandirent à travers l’Europe l’architecture romane, la peinture gothique et renaissante, l’art baroque, la poésie romantique puis symboliste et encore les avant-gardes qui précédèrent le funeste premier conflit mondial, on ne peut pas ne pas croire qu’il y a sous-jacent à nos détestables conflits de quoi donner vie avec profondeur à une recherche commune en passe aujourd’hui, qui sait même, d’enfin fleurir, au moins dans quelques œuvres qu’il importe donc de connaître.

Vous écriviez dans Notre besoin de Rimbaud qu’il a été pour vous « la révélation de ce qu’est la vie, de ce qu’elle attend de nous, de ce qu’il faut désirer en faire ». De quand date cette révélation et en quoi Rimbaud vous remue-t-il encore, aujourd’hui ?
Nous parlions de l’Europe, à l’instant. Et Rimbaud a écrit, dans Une saison en enfer : « Quittons ce continent où la folie rôde ! » Était-il, lui, un ennemi de l’Europe ? Bien sûr que non, il ne fut que déçu par un siècle où elle avait été particulièrement déconcertante, à feu et à sang sous Napoléon, puis révolutionnaire partout ou presque en 1848 mais sans lendemain à l’aune de cette grande espérance.  Et ce que nous devons à Rimbaud, sa réaffirmation impatiente de l’espérance dans le malheur, c’est dans le droit-fil d’une revendication qui est aussi spécifiquement européenne que la poésie de Leopardi ou celle de Baudelaire ou la musique de Beethoven, de Mahler.

BQ7H9803Rimbaud voulait « changer la vie ». Est-ce le dessein commun à tout poète ?
Oui. En tout cas ce devrait l’être. Il faut mériter cette appellation si on y prétend.

En quoi le poète diverge-t-il de l’écrivain, de l’essayiste ou du traducteur ?
Précisément en ceci qu’il fait de ce dessein son grand  souci, aux dépens de l’observation des comportements sociaux, par exemple : cette vocation des romanciers. Mais n’opposons  pas le poète au traducteur. Le traducteur de la poésie a vocation à être poète.

Quel regard portez-vous sur le poète Tony Harrison, invité à vos côtés ? Existe-t-il une filiation avec l’homme aux semelles de vent ?
Tony Harrison a une pensée politique et je lui donne raison. Cela peut vous étonner puisque rien de politique n’apparaît dans ce que j’écris, mais qu’est-ce qui motive l’écriture poétique en ce qu’elle a de plus subjectif sinon le besoin, je le disais, de « changer la vie », un renouveau qui ne peut que s’accompagner d’une rénovation radicale du lien social ? Les images dans les poèmes, cela peut sembler du gratuit, de l’insouciant, mais c’est aussi et d’abord ce qui décomposent les idéologies dans lesquelles les groupes humains s’empiègent.

 Propos recueillis par Thomas Flagel

www.strasbourg-europe.eu

26 janvier 2011

Poly n°138 à feuilleter !

Découvrez le magazine Poly n°138, toute l'actualité culturelle de février et deux entretiens sociétaux… Enjoy !

Open publication - Free publishing - More alsace

30 novembre 2010

PLACES À GAGNER AVEC POLY !!

Evita_RachaelWooding_as_EvaPeron
À gagner, deux fois deux places pour Evita au Festspielhaus de Baden-Baden, le mardi 22 février 2011 à 20h.

Pour remporter ces places, répondez à la question suivante :

En quelle année Eva Perón a-t-elle disparu ?

Envoyez votre réponse, mercredi 1er décembre à : commercial.strasbourg@bkn.fr

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