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Le Blog du magazine POLY
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12 mars 2009

La ligne crasse

Mardi 10 mars, Jean Teulé et Florence Cestac étaient de passage à Strasbourg pour rencontrer le public à la Librairie Kléber à l’occasion de la parution de Je voudrais me suicider mais j'ai pas le temps, “bioBD” retraçant la folle vie de Charlie Schlingo (1955-2005). Nous les avons rencontrés autour d’un verre de blanc (pour elle) et de rouge (pour lui).

Cestac_Teul__Schlingo_bd

Dessin original de Florence Cestac pour POLY

Florence Cestac avait déjà narré en bande dessinée l’odyssée de la maison d’édition qu’elle avait fondée avec Étienne Robial en 1972… Jean Teulé lit cette Véritable histoire de Futuropolis et « découvre une case où est écrit qu’il faudrait faire une BD de la vie de Charlie Schlingo ». Bingo. Un coup de fil plus tard et c’est parti. L’enquête débute auprès « de ses parents, de ses potes de bagarre, de biture, de BD, de musique et de ses diverses copines. Chacun avait dans le souvenir son Schlingo. J’ai essayé de rassembler les pièces du puzzle » poursuit-il.

« Aujourd’hui, un type comme n’est plus possible dans l’univers de la BD » prévient d’emblée Florence… Il est vrai que son existence a tout d’une improbable épopée foutraque : depuis son (vrai) nom Jean-Charles Ninduab (« En fait Baudoin mais un employé d’état-civil a recopié ce qu’il a – mal – lu sur un buvard » explique Teulé) jusqu’à sa mort, “tué” par La Méchanceté – qui était le nom de son chien – sur lequel il avait trébuché. Cou brisé sur une table. « Le comble pour un humoriste » sourit Jean Teulé qui poursuit : « Ce type vivait comme s’il était dans une BD ». Son existence justement ? Une vaste folie rythmée par les bagarres de pochetron, les coups pendables et potaches, des folies quotidiennes (dont une des plus anodines consistait à se jeter sous un autobus, se cachant souplement entre ses roues… et faisant une peur bleue à ses potes) et des picolades monumentales. Mais pas de provoc’ là-dedans : « Tout cela était profondément naturel » selon Florence Cestac. « Il envoyait des dédicaces foutraques. À la rédactrice en chef d’Elle, il écrivait : “Quand est-ce qu’on baise ?” À Bernard Pivot, “Je vous encule”. Et quand il s’étonnait d’avoir si peu de retour de la presse, de ne pas passer à la télé, on lui expliquait qu’il n’était guère poli. Du coup, il modifiait. Ça donnait : “Je vous encule gracieusement” ».

Artiste maudit tendance XIXe siècle, il débute dans la vie avec la polio et des parents qui le planquent sous la table quand débarquent les invités. Milieu bourgeois. Heureusement que la grand-mère lui fait lire Popeye. Sa vocation est décidée : ce sera la BD. Un talent gros comme ça, des albums édités un peu partout… mais un public de 500 inconditionnels. Peu de ventes. Le succès ce sera pour plus tard (L’Association le réédite ces jours-ci). Mais des créations verbales étonnantes (le titre de l’album, Je voudrais me suicider mais j’ai pas le temps, étant une de ses réponses préférées à la question : “Comment va ?”), mots étranges et expressions bizarroïdes fascinèrent ses lecteurs mais aussi nombre de ses pairs comme Jean Giraud alias Moebius. Ce dernier n’osa jamais l’approcher. Rien d’étonnant pour Teulé : « Schlingo était si imprévisible que certains avaient peur de ses réactions et sont passés à côtés ».
Le duo Teulé & Cestac – qui l’ont bien connu – restitue un personnage hors normes sans jamais verser dans l’hagiographie ou la critique. « Trouver le juste milieu : faire rire, s’attacher à ce personnage et, à la fin, laisser les gens la larme à l’œil », tel était le pari pour eux. Un regard doux-amer sur un drôle de type dont il n’y a pas de réel héritier… À l’époque, il y avait de nombreux journaux de bande dessinée où un auteur comme lui pouvait placer quelques pages, par-ci, par-là. Aujourd’hui, on ne vit que sur ses ventes alors on ose moins. Peut-être « les types de Groland », ajoute Jean Teulé. Pas convaincu.

Hervé Lévy & Thomas Flagel

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Je voudrais me suicider mais j'ai pas le temps
Textes : Jean Teulé
Dessins : Florence Cestac
Aux éditions Dargaud

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